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Allumer des contre-récits pour lutter contre la mésinformation

26 January 2024

Face aux risques de fake news et de manipulations en cette année électorale, les communicants publics doivent aller au-delà du simple démenti des faits. 

2024 sera l’année des élections. Cette année 4 milliards de personnes se rendront aux urnes dans plus de 60 pays en 2024 : un record ! Le Bangladesh et Taïwan ont ouvert le bal début janvier, et les élections pour le Parlement européen, le Parlement indien, le Président des États-Unis et le Parlement britannique rythmeront les mois à venir. 

La désinformation devrait jouer un rôle majeur lors de ces différents scrutins, comme cela a été le cas ces dernières années. 

Le Global Risks Report 2024 publié par le Forum Economique Mondial considère la « mésinformation et la désinformation » comme le risque numéro un pour les deux prochaines années. De manière assez surprenante, ce risque arrive avant les phénomènes météorologiques extrêmes et même les conflits armés. Le rapport fait ainsi état de craintes que la désinformation ne menace la « légitimité des gouvernements nouvellement élus ». De fait, les allégations répétées selon lesquelles l'élection présidentielle de 2020 aux États-Unis avait été « truquée » ont conduit une majorité des électeurs de Donald Trump (65%) à croire que leur candidat avait en fait remporté l'élection

D'autres fausses rumeurs similaires ont mis en doute l'intégrité de l'élection présidentielle française de 2022. Une enquête menée par Verian (anciennement Kantar Public) à cette occasion avait révélé que 19% des Français pensaient que le résultat de l'élection présidentielle avait été truqué, et cette proportion atteignait 51% parmi les électeurs de Marine Le Pen. 

En plus de saper la légitimité des résultats des élections, plusieurs études portant sur l'élection présidentielle française de 2017 et l'élection fédérale allemande de la même année ont montré que la désinformation pouvait influencer les intentions de vote. Dans la perspective des élections européennes de juin 2024, les parlementaires européens ont récemment adopté un texte qui met en garde contre « l'augmentation des activités d'ingérence et de manipulation de l'information » qui pourrait « empêcher les citoyens de faire des choix [de vote] éclairés ou les décourager complètement de participer à la vie politique ». 

Le texte appelle à une stratégie coordonnée pour lutter contre la désinformation pendant les élections européennes. En Europe et ailleurs, le succès d'une telle stratégie dépend d'une communication efficace auprès du public, en complément d’évolutions législatives en cours. 

Les décideurs politiques à travers le monde ont récemment introduit de nouvelles lois pour limiter l'exposition du public à la désinformation, en particulier en ligne, où elle se propage rapidement. En Europe, par exemple, la loi sur les services numériques définit de nouvelles responsabilités pour les réseaux sociaux, y compris des règles systématiques pour la suppression des contenus trompeurs et nuisibles, ainsi que des sanctions en cas de non-respect de ces règles. Les gouvernements des États-Unis et du Royaume-Uni ont également introduit des réglementations équivalentes. D'autres mesures seront nécessaires pour tenir compte des nouveaux développements technologiques, tels que la désinformation générée par l'IA et les « deepfakes ». 

Néanmoins, les électeurs seront très probablement confrontés à des informations erronées lors des élections à venir cette année. 

Les gouvernements pourraient accroître la résistance de leur pays à ce type d'ingérence en engageant une communication qui fournisse au public des informations fiables. 

Au plus fort de la pandémie du COVID-19, les campagnes de santé publique s’étaient attaquées de front aux informations trompeuses qui alimentaient l'opposition aux règles de confinement et aux programmes de vaccination. 78% des communicants gouvernementaux interrogés dans la dernière édition du Leaders' Report publié par WPP et Verian (anciennement Kantar Public) déclarent ainsi que leur organisation a fait des efforts pour lutter contre la désinformation depuis 2020. 

Dans le même temps, les enquêtes auprès de des décideurs publics révèlent une certaine inquiétude quant au fait que les gouvernements puissent jouer le rôle d' « arbitres de la vérité » dans le débat public. Cela a nourrit la réticence à étendre leurs efforts de communication contre la désinformation, en particulier en période électorale. 

Pourtant, pour atténuer l'impact de la désinformation, les gouvernements n'ont pas besoin de se débattre avec la vérité. Le nombre de vérificateurs de faits, « fact checkeurs », dans le monde a probablement doublé au cours des six dernières années, avec près de 400 équipes de journalistes et de chercheurs opérant dans 105 pays. Mais l'efficacité de la vérification des faits – démystification ou debunkage en anglais – en tant qu'outil visant à réduire la croyance en la désinformation est extrêmement variable. Le fait que les gens aient tendance à éviter les vérifications de faits qui contredisent leurs opinions existantes est un exemple frappant de ses limites. 

Une autre approche, testée par certains gouvernements, consiste à fournir un contre-récit attrayant qui soulève des questions sur les informations trompeuses, sans nécessairement les qualifier de fausses. L'objectif est de susciter une réflexion critique et indépendante sur le sujet. 

Par exemple, le gouvernement taïwanais a mis au point une nouvelle stratégie de contre-récit pendant la pandémie de Covid-19, baptisée « l'humour contre la rumeur ». En réponse à des rumeurs infondées qui avaient provoqué des achats paniques de papier toilette, la Ministre de l'économie numérique Audrey Tang avait publié en ligne une caricature du Premier ministre taïwanais Su Tseng-Chang remuant ses fesses avec le slogan « nous n'avons qu'une paire de fesses » – le message étant qu’un individu normalement constitué n’a besoin que d’une quantité limitée de papier toilette. Aussi absurde que cela puisse paraître, la caricature est devenue virale et, selon Tang, a pu neutraliser la désinformation sur le sujet. « L'humour est une sublimation de l'indignation », avait-elle déclaré. 

En Ukraine, le gouvernement promeut régulièrement des contenus humoristiques qui attirent l'attention, par le biais de canaux publics, en réponse aux informations trompeuses sur l'invasion russe. Le compte Ukrainian Memes Forces sur X (anciennement Twitter) compte plus de 350 000 adeptes. Et l'initiative citoyenne « TOZHSAMIST’ » sensibilise à la diversité et à l'égalité en Ukraine pour contrer les fausses rumeurs sur la présence importante du néonazisme dans le pays. Le ministre japonais de l'environnement, Shinjiro Koizumi, a choisi cette même option quand il s'est attaché à mobiliser les jeunes pour qu'ils s'engagent en faveur d'un avenir à faible émission de carbone en rendant la lutte contre le changement climatique « sexy » et « amusante ». 

Les communicants des gouvernements des pays où des élections sont prévues cette année devraient s'inspirer des études des cas mentionnées ci-dessus. Les contre-récits qui font la lumière sur les mensonges concernant l'intégrité de la démocratie leur permettront de diluer l'influence de la désinformation et d'améliorer ainsi la confiance dans les institutions politiques, qui est actuellement au plus bas.

Laurence Vardaxoglou_Crop

Laurence Vardaxoglou

Directeur d'études
Enjeux publics et opinion

France

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