Guerre informationnelle : des Français prêts à passer à l’offensive ?
par Guillaume Caline, Directeur Enjeux publics et opinion, Verian et Laurence Vardaxoglou, chercheur associé à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne (Centre d’économie de la Sorbonne)
A l'initiative du président de la République, un conseil de défense spécial consacré à lutte contre les tentatives de manipulation de l'information venant de l'étranger doit se tenir dans les prochaines semaines. Cette réunion illustre l’importance nouvelle que revêt aujourd’hui la « guerre informationnelle ».
La guerre de l’information est une bataille pour l’opinion publique. Semer le doute, créer des divisions ou influencer les esprits est un moyen d’affaiblir considérablement l’adversaire. La Chine comme la Russie ont mené de telles initiatives afin d’affaiblir respectivement la détermination des peuples taïwanais et ukrainien. Le Kremlin a également orchestré des campagnes en France ces dernières années. On peut citer, notamment les affaires des « étoiles bleues » et des « mains rouges » qui visaient à attiser l’antisémitisme dans le pays.
En France, les tentatives d’influence, d’ingérence et de manipulation de l’opinion publique se sont multipliées ces dernières années. Cette menace grandissante pose la question des réponses à y apporter. Emmanuel Macron paraît avoir pris le sujet au sérieux, notamment avec la création en 2021 de Viginum, l’Agence de lutte contre les ingérences numériques étrangères, l’une des premières du genre en Europe. Un récent rapport parlementaire a toutefois souligné la vulnérabilité de la France dans la guerre de l’information, et plusieurs voix appellent désormais le pays à adopter une approche plus offensive pour riposter.
L’histoire montre que le soutien de l’opinion publique est un facteur important dans la réussite d’un effort de guerre. Or, la spécificité de la guerre informationnelle est qu’il s’agit précisément d’une lutte pour l’opinion publique. Comprendre les perceptions et attentes des Français à l’égard de cette guerre s’avère donc particulièrement décisif. Nous avons pour cela mené une étude exclusive Verian qui révèle une prise de conscience largement partagée de la réalité de cette guerre informationnelle chez les Français et leur attente d’un engagement fort en la matière.
Une inquiétude partagée à l’égard des menaces de la guerre informationnelle
Selon les résultats de cette étude menée fin juillet, 73 % des Français s’inquiètent des tentatives d’acteurs étrangers visant à influencer l’opinion publique en France. Et 71 % estiment que quand un Etat cherche à influencer l'opinion publique dans un autre pays cela s’apparente à une forme de guerre. Si ces deux affirmations sont largement partagées dans la population, on note que les personnes se situant à gauche de l’échiquier politique se montrent plus préoccupées (80 %) et plus enclines à considérer de telles actions comme un acte de guerre (77 %).
La Russie : principal agresseur perçu dans la guerre de l’information
74 % des Français estiment en outre qu’aujourd’hui la France est directement menacée par des tentatives de manipulation de l’information par des pays étrangers. Nous avons demandé aux répondants partageant cette opinion de citer spontanément le(s) pays qu’ils pensaient être à l’origine de ces attaques contre la France. Plus d’un sur deux (56 %) ont cité la Russie, 29 % les États‑Unis, et 14 % la Chine. D’autres pays ont été ensuite cités par 5% ou moins des répondants : Israël, Iran, Algérie… Les sympathisants de gauche sont plus nombreux que ceux de droite à identifier ces principales menaces.
Passer à l’offensive : un dilemme démocratique
Face à la guerre informationnelle, 77 % de la population française estime que « la lutte contre ces tentatives de manipulation de l’opinion doit être une priorité pour la France ». Dans ce conflit multiforme, plusieurs outils sont activables ou encore à inventer. A ce titre, Viginum (présenté aux répondants au sondage qui n’en avaient peut-être pas entendu parler comme “un service public chargé de détecter et de contrer les opérations de manipulation de l’information en ligne menées depuis l’étranger”) est perçu comme utile par 65 % des Français, contre seulement 16 % qui jugent cette initiative inutile.
Toutefois, l’action de Viginum reste essentiellement défensive, centrée sur la détection et la neutralisation des attaques venues de l’étranger. Or, dans une guerre de l’information, la seule posture défensive peut s’avérer insuffisante. C’est pourquoi nous avons interrogé les Français sur une approche plus offensive : celle qui consisterait à répondre par des campagnes de désinformation ciblées, menées par la France à l’encontre de régimes autoritaires.
Cette hypothèse soulève des enjeux éthiques majeurs. Dans une démocratie, l’idée même de manipulation assumée — fût-elle dirigée vers l’extérieur — entre en tension avec les principes de transparence et de respect des citoyens. Pourtant, 56 % des Français se disent favorables à ce que la France mène de telles opérations en représailles, contre 31 % qui y sont opposés. Ce résultat témoigne d’une attente forte d’action, quitte à bousculer certains repères démocratiques et d’une réelle inquiétude face à la menace actuelle.
La guerre informationnelle est désormais une réalité stratégique à laquelle la France ne peut se soustraire. Si la population en mesure les dangers, elle attend aussi des réponses à la hauteur des menaces. Entre défense des valeurs démocratiques et impératif d’efficacité, le débat sur les moyens à mobiliser ne fait que commencer. Il appartient dès lors aux pouvoirs publics de tracer une ligne claire, à la fois ferme et fidèle aux principes qui fondent notre démocratie.
Méthodologie
Enquête réalisée en ligne du 29 juin au 1er juillet 2025 auprès d’un échantillon national de 1000 personnes représentatif de l'ensemble de la population âgée de 18 ans et plus. Méthode des quotas (sexe, âge, profession de la personne de référence et région).
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