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Analyses

Préparer l’opinion à un conflit majeur : le chantier semé d’embuches de l’exécutif

Décembre 2025
Face à la montée des risques militaires, préparer l’opinion publique suppose de relever trois défis majeurs, chacun porteur de dilemmes complexes. Et cette entreprise est rendue particulièrement périlleuse dans le contexte politique actuel.

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« Nous sommes en guerre. » Lorsque le président de la République prononce ces mots en mars 2020, au cœur de la pandémie, la formule marque les esprits. Elle surprend mais poursuit un but clair : faire prendre conscience de la gravité de la situation épidémique et préparer les Français à des renoncements considérables.

Un peu plus de 5 ans plus tard, c’est à une autre forme de mobilisation que l’exécutif appelle les Français. Les signaux se multiplient ces dernières semaines, en particulier les propos du chef d’état-major des armées lors du Congrès des maires. Il s’agit désormais de rappeler que l’hypothèse d’un conflit militaire en Europe, impliquant directement la France, n’appartient plus au domaine de la fiction. La question prend alors une dimension nouvelle : comment préparer les Français à cette éventualité, aux engagements qu’elle exigerait et aux sacrifices qu’elle impliquerait ?

Cette préparation repose sur trois piliers, chacun porteur de dilemmes propres.

Faire mesurer la réalité et la proximité de la menace

Premier impératif : rendre la menace intelligible. Les Français ont-ils pleinement pris la mesure du basculement géopolitique en cours, marqué à la fois par l’invasion russe de l’Ukraine en 2022 et la fragilisation de la garantie américaine ?

Une enquête conduite par Verian fin octobre en France, au Royaume-Uni et en Allemagne apporte un premier éclairage : 61 % des Français jugent probable que leur pays soit confronté à un conflit militaire dans les cinq ans. La conscience du risque est donc réelle et supérieure à celle observée au Royaume-Uni (57%) et en Allemagne (52%).

Mais cette prise de conscience est inégalement répartie dans la population. Les moins de 35 ans semblent plus préparés mentalement à la perspective d’une guerre que les plus de 50 ans. Comme si les générations du baby-boom et de leurs enfants peinaient à réaliser le possible retour du bruit des armes sur le continent.

Pour les pouvoirs publics, tout l’enjeu est là : rendre la menace tangible sans basculer dans l’alarmisme et le catastrophisme. Le souvenir de l’épisode H1N1 pèse encore : un gouvernement accusé d’avoir trop dramatisé en 2009, puis sous-réagi en 2020 face au Covid par crainte de répéter l’erreur inverse. À cela s’ajoute une société française déjà éprouvée, inquiète pour son avenir économique et écologique et que l’on imagine mal accueillir favorablement un discours qui ne promettrait comme perspective que « du sang et des larmes ».

Rassurer sur la capacité du pays à faire face

Deuxième enjeu : la confiance dans la préparation de la Nation. Notre même enquête révèle que seuls 31 % des Français estiment la France préparée à un conflit militaire.

Ici encore, un dilemme apparaît pour les pouvoirs publics : comment affirmer que le pays est prêt sans tomber dans un discours excessivement optimiste, immédiatement suspect, ou trop martial, susceptible de réveiller des traumatismes collectifs ? L’histoire nationale regorge ici d’exemples. Qu’il s’agisse du général Le Bœuf, ministre de la guerre assurant en 1870 quelques mois avant la débâcle de Sedan : « Nous sommes prêts et archi-prêts. La guerre dût-elle durer deux ans, il ne manquerait pas un bouton de guêtre à nos soldats ». Encore ne s’agit-il pas aujourd’hui que de préparation militaire, mais aussi de rassurer les Français sur la capacité du pays à s’adapter et gérer le choc économique et politique que représenterait un conflit proche de nous.

Dans un contexte de forte défiance à l’égard des pouvoirs publics, l’équilibre à trouver pour l’exécutif est ardu : reconnaître – au nom de la transparence – nos éventuelles fragilités, c’est s’exposer immédiatement au risque du jugement en incompétence.

Assurer les conditions d’une société unie et résiliente

Le troisième enjeu, le plus déterminant à long terme, concerne le moral de la population. Le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale le rappelle : la résilience nationale repose d’abord sur l’adhésion et la cohésion de la société.

Or dans une France qu’on dit très souvent fracturée, deux scénarios semblent possibles :

  • Celui d’un réflexe d’unité, né de la conscience d’une menace existentielle, face à un ennemi commun. Les Jeux olympiques de l’été dernier ont ainsi montré que le pays sait encore se retrouver autour d’un récit commun, d’un élan partagé.
  • Celui, au contraire, d’une fragmentation accrue, où la perspective d’une guerre ranimerait les lignes de fractures politiques, sociales ou culturelles. Les débats déjà vifs sur l’attitude à adopter face à la Russie – apaisement ou fermeté – laissent entrevoir ce que pourraient être les divisions de demain. Difficile de ne pas imaginer que surgiront des refus que nos enfants aillent « mourir pour » Riga ou Vilnius en réponse aux appels à aider nos alliés de l’OTAN.

Face à ces trois enjeux, le moment politique actuel pourrait difficilement être plus à risque : entre un Président empêtré dans une fin de mandat qui a commencé au lendemain de sa réélection et une campagne présidentielle qui démarre déjà et dont on peut douter qu’elle soit la meilleure occasion d’aborder ces sujets sereinement.

Dans ce contexte, la décision prise par le gouvernement le 4 octobre dernier de geler l’ensemble des nouvelles dépenses de communication publique est d’autant plus étonnante. Priver l’action publique de ses instruments de communication revient à réduire au silence ceux qui devraient sensibiliser et préparer la population. Ce paradoxe interroge : comment appeler les Français à la lucidité et à la résilience tout en limitant les moyens de leur parler ? En gelant la communication institutionnelle, l’État prend le risque de fragiliser ce qui devrait, au contraire, être solidifié : la clarté du message, la pédagogie de la menace et la capacité à mobiliser la Nation.

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